Je vais dans la chambre de ma fille. Je m'assois par terre, au bord du lit. Personne. J'empoigne son hippopotame sur la commode. Cet hippopotame technologique qui fait de la musique. Cet hippopotame technologique qui fait de la musique et de la lumière. Cet hippopotame techno qui projette des lumières au plafond et sur les murs. Cet hippopotame techno qui projette des étoiles, des étoiles filantes et des navettes spatiales au plafond et sur les murs sous la forme d'une spirale imitant la forme de la galaxie. Au-dessus du lit de ma fille. Je mets l'hippopotame en marche. Et m'allonge dans le lit à la place de ma fille. Dans le petit lit tout riquiqui de mon kiki. Je m'allonge dans le lit de mon kiki, de Monchhichi. Sous les étoiles, les étoiles filantes et les navettes spatiales que l'hippo techno de Monchhichi projette au plafond en son absence sous la forme d'une spirale imitant la forme de la galaxie. Alors que Monchhichi n'est pas là. Alors que Monchhichi est à Malte. Soudain j'ai une idée. Je cherche sur Internet un texte en Maltais. La langue maltaise, la seule langue sémitique qui soit reconnue comme langue officielle en Europe. L'une des langues les plus anciennes du monde. L'une des langues dont l'alphabet est paradoxalement l'un des plus récent, puisque l'alphabet Maltais n'a été constitué qu'en 1934. Le seul alphabet basé sur des caractères latins qui permette de parler une langue sémitique. Une langue hybride, mélange d'Italien, d'Italien sicilien, d'Arabe mais aussi d'Anglais et de Français et de toutes les langues de tous les peuples qui, à un moment donné de l'Histoire, y sont passés, s'y sont installés. Je tombe sur le plus ancien texte littéraire connu en langue maltaise : Il-Kantilena (La Cantilène). Attribué à Pietru Caxaro, poète-notaire, et écrit en Maltais ancien, il a été retrouvé à la dernière page d'un registre notarial de son neveu Brandano, daté de décembre 1533 à mai 1563. Il est daté d'avant 1485, mort de Caxaro, et probablement de 1470. Il a été trouvé en 1966 par le professeur Godfrey Wettinger et le père Michael Fsadni qui dépouillaient les archives notariales. Le plus vieux poème connu en langue maltaise a été écrit sur le registre d'un notaire ! Ça ne s'invente pas !

Il-Kantilena (La Cantilène)


Xidew il-qada, ja ġirieni, talli nħadditkom, Ma nsab fil-weri u la nsab f’għomorkom

Qalb m’għandha ħakem, sultan u la mula

Bir imgħammiq irmietni, b’turġien muħsula,

Fejn ħajran għall-għarqa, ninżel f’taraġ minżeli Nitla’ u nerġa’ ninżel dejjem fil-baħar il-għoli.

Waqgħet hi, imrammti, l’ili żmien nibni,

Ma ħtatlix mgħallmin, ’mma qatagħli tafal merħi; Fejn tmajt insib il-ġebel, sibt tafal merħi; Waqgħet hi, imrammti.

Waqgħet hi, imrammti, niżżlet hi s-sisien,

Ma ħtatlix l-imgħallmin, ’mma qatagħli l-ġebel; Fejn tmajt insib il-ġebel, sibt tafal merħi; Waqgħet hi, imrammti, l’ili żmien nibni.

U hekk waqgħet hi, imrammti! w erġa’ ibniha!

Biddilha inti l-imkien illi jewtiha;

Min ibiddel l-imkien ibiddel il-vintura;

Għaliex l-iradi għal kull xiber sura:

Hemm art bajda, w hemm art sewda u ħamra.

Aktar minn hedawn hemm trid minnha tmarra.









Traduction française de Cohen / Vanhove


Arrêtez vos occupations, ô mes voisins, je viens vous raconter

Ce qui ne se trouve ni dans le passé ni de votre temps

Un cœur qui n'a ni souverain, ni maître, ni seigneur

Dans un puits profond, il m'a jeté par des marches usées

Où désespéré d'amour, pour me noyer je descends les marches de mon destin

Je monte et je redescends toujours dans les vapeurs bouillonnantes.

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison que je construis depuis longtemps,

Ce ne fut pas faute d'ouvriers, mais ce qui a cédé c'est l'argile molle

Où j'espérais trouver des pierres, j’ai trouvé de l’argile mole.

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison.

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison, il s'est affaissé jusqu'aux fondations

Ce ne fut pas faute d'ouvriers, mais les pierres m'ont fait défaut

Où j'espérais trouver des pierres, j’ai trouvé de l’argile molle

Il est tombé le chantier que je construis depuis longtemps.

Et c'est ainsi qu'il est tombé le chantier de ma maison. Reconstruis-la !

Toi, change-la pour une place qui lui convient

Qui change de lieu, change le destin.

Car aux terres de tout empan correspond une forme

Il y a une terre blanche et une terre noire d'asphalte

Choisis parmi elles ! Il y en a dont tu désires le fruit.



Version de Boris Crack


Arrêtez vos occupations, ô mes voisins, je viens vous raconter

Ce qui ne se trouve ni dans le passé ni de votre temps

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison que je construis depuis longtemps,

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison.

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison que je construis depuis longtemps,

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison.

Ah oui, il s'est écroulé, ah oui oui, il s'est écroulé

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison que je construis depuis longtemps,

Ah oui, c'est sûr, ah oui là c'est sûr, il s'est écroulé

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison.

C'est sûr à 100% à 200% même, il s'est écroulé

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison, il s'est affaissé jusqu'aux fondations

Tout est par terre, là, c'est sûr, oui tout est par terre, ça c'est sûr, je suis dedans

Il est tombé le chantier que je construis depuis longtemps.

Tout est par terre, là, ça c'est sûr, tout est destroy, complètement

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison que je construis depuis longtemps,

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison.

Tout est par terre, là, c'est sûr, sûr de chez sûr, tout est destroy, complètement

Il s’est écroulé, le chantier de ma maison que je construis depuis longtemps,

Et c'est ainsi qu'il est tombé le chantier de ma maison.

Et c'est ainsi qu'il est tombé le chantier de ma maison.

Et c'est ainsi qu'il est tombé le chantier de ma maison.




C'est le nouvel hymne européen sous le ciel étoilé dans la chambre de Monchhichi ! Ça c'est européen ! Ça c'est 100% européen ! 200% même ! Quoi de mieux qu'un poème de notaire comme hymne européen ? Alors que je découvre ce poème dans la chambre de Monchhichi recouverte d'étoiles mouvantes, plus ou moins floues, comme celle du drapeau européen, j'ai soudain une vision. Sur la musique de l'hippo techno qui est un mélange de berceuses classiques dans leurs versions synthétiques et de sons de la nature comme le bruit du vent ou celui des vagues, je vois apparaître une spirale dans le ciel de Monchhichi, une spirale grandiose où tourbillonnent tous les mots du poème, une spirale où tourbillonne la langue maltaise, que je ne sais pas parler mais qui se met en mouvement au-dessus de moi comme pour m'aspirer, une spirale maltaise qui s'ouvre au plafond comme pour m'aspirer dans son maelström, et je me laisse faire, je me laisse emporter, dériver, comme la maison effondrée du notaire, comme la maison en morceaux du poète-notaire, comme les débris de la maison du poète-notaire qui sont aussi les débris du projet européen, je me laisse emporter dans le tourbillon, je me laisse emporter par la spirale, m'enfonçant dans le poème, m'enfonçant dans la cantilène, m'enfonçant dans la cantilène comme si je m'enfonçais dans l'espace, comme si je m'enfonçais dans l'espace-temps, comme si je partais pour un très long voyage. Quel pied !